L’histoire de Kuvaen n’a pas vocation à être originale. Fruit d’un mélange de deux espèces - de prime abord - complètement incompatibles, il a hérité d’une double hybridation et s’est ainsi retrouvé à partager équitablement des gènes de fennec et de ratel. Comme pour la plupart des hybrides rebelles, la vie de Kuvaen et ses parents s’est résumée à fuir les chasseurs tout en essayant de survivre. Une existence épuisante qui amena la petite famille à rejoindre un clan de rebelles - très bien organisé - car ces derniers les avaient sauvés in extrémis d’une fin peu enviable.

Découvrant la vie en communauté, Kuvaen - qui était encore très jeune - se lia rapidement d’amitié avec les autres enfants du clan, même s’ils n’avaient pas forcément tous le même âge. Mais cette différence ne l’empêcha pas de s’amuser et d’apprendre de ses ainés. C’est d’ailleurs ainsi qu’il développa des compétences qui lui seraient très utiles plus tard, telles que le camouflage et le combat pour n’en citer que deux.

Le jeune hybride grandit, loin de la violence et des conflits, des années durant au sein du clan. Néanmoins, lorsqu’il fut en âge de comprendre la cruelle réalité de leur situation, on lui dévoila l’horrible vérité au sujet des humains et des pratiques douteuses qu’ils infligeaient à leurs semblables. Cet apport d'informations ne fit que faire naître un profond dégoût en Kuvaen pour l'espèce humaine qui ne tarderait pas à se transformer en haine.

Il venait d’avoir seize ans lorsqu’il apprit que l’un de ses amis d’enfance avait été capturé par des chasseurs et que le clan ne comptait pas intervenir pour le sauver du triste sort qui l’attendait, jugeant l’intervention trop dangereuse. Cette décision fit enrager Kuvaen qui décida de partir seul à la recherche de son ami avec la ferme intention de le libérer des griffes de ses geôliers.

Malheureusement, tout ne se passa pas comme il l’avait imaginé. Mais c’était prévisible, après tout. Quelle chance avait-il de vaincre à lui seul plusieurs chasseurs armés et expérimentés ? Aucune. Malgré tous ses efforts, sa tentative de camouflage échoua lamentablement et son attaque surprise aussi, par la même occasion. Il se fit déloger par un chasseur et acculer par les autres alors que son ami lui lançait un regard résigné, comme s’il savait pertinemment qu’il n’avait pas la moindre chance de s’en tirer.

Fort heureusement, l’attitude du jeune prisonnier ne découragea pas Kuvaen qui passa à l’offensive. Et même s’il était désavantagé car il ne possédait aucune arme hormis ses crocs et ses griffes, l’hybride rivalisa d’ingéniosité, utilisant le terrain à son avantage pour faire chuter l’un des chasseurs puis en aveugler un autre en projetant un nuage de poussière vers son visage. Les deux derniers, plus réactifs que leurs comparses, s’emparèrent d’une arme à feu pour la pointer sur Kuvaen. A ce moment précis, le prisonnier fut victime d’un sursaut de conscience et cria à son ami de foutre le camp. Mais le jeune hybride impulsif n’en fit qu’à sa tête et continua son assaut jusqu’à entendre la détonation d’une des deux armes.

Le projectile fila à toute vitesse en direction de la tête de Kuvaen. Mais au dernier moment, il sentit ses vêtements être agrippés fermement et une force invisible le tirer vers l’arrière. Son père était arrivé juste à temps pour éviter à son fils de mourir d’une balle en pleine tête. L’homme, furieux, s’élança en direction des deux chasseurs encore valides et bondit sur le premier en plongeant avec une telle férocité ses griffes dans la gorge du traqueur qu’une giclée de sang l’éclaboussa. Quant au dernier, l’hybride profita de sa confusion pour fondre sur lui, le faire basculer sur le sol avec l’élan et le poignarder avec force à plusieurs reprises grâce à une arme qu’il avait confectionnée avec des matériaux trouvés dans la forêt. Les deux autres - ayant finalement repris leurs esprits entre temps - profitèrent du fait que l’hybride soit occupé à s’acharner sur un de leurs collègues pour prendre la poudre d’escampette.

De retour au camp, Kuvaen se fit sèchement réprimander pour son impulsivité et son inconscience. Mais son père le félicita pour le courage dont il avait fait preuve, même s’il avait failli se faire tuer. Aussi, après cette expérience qui aurait pu tourner à la catastrophe, le père jugea qu’il était temps d’apprendre à son fils à exploiter toutes les facultés de son hybridation, à commencer par cette force et cette férocité que lui conféraient ses gènes de ratel.

Durant les années qui suivirent, Kuvaen s’entraîna quotidiennement avec son père afin de se perfectionner dans l’art du combat. En fait, le jeune hybride mettait tant d’ardeur à la tâche qu’il parvenait souvent à battre son géniteur lorsqu’ils combattaient ensemble. Et lorsque cela arrivait, le père ne pouvait s’empêcher de ressentir une profonde fierté en voyant les progrès de son fils. Mais Kuvaen ne faisait pas cela pour obtenir une quelconque reconnaissance auprès de son père, non. Il voulait devenir plus fort afin de pouvoir protéger les plus faibles. Telle était sa motivation. Mais les meilleures intentions ne suffisent pas toujours à empêcher les catastrophes de se produire. Et malgré toutes les années que Kuvaen avait passé à s’entraîner, rien ne l’avait préparé à ce qui allait arriver.

Alors qu’il avait profité du beau temps pour aller faire une petite promenade avec Odanya… Ah, vous ne savez pas qui c’est ? Eh bien, il s’agit tout simplement de la sœur cadette d’Astreya, une gamine du clan avec laquelle il a grandi et développé un lien particulier et très fort au fil du temps. Il faut dire qu’étant enfants, ils ont fait les quatre cent coups ensemble. Mais tout ça n’avait rien d’étonnant puisqu’ils se ressemblaient sur bien des points. En grandissant, les deux amis se sont quelques peu assagis, bien qu’il leur arrivait encore de partir en mission ensemble sans l’accord du clan pour récupérer des informations ou aider des rebelles en difficulté quand la situation le permettait. A la mort des parents d’Astreya, Kuvaen s’est encore rapproché des deux sœurs, adoptant le rôle du grand frère empathique et protecteur, si bien qu’il se mit à considérer Astreya et Odanya comme faisant partie de sa propre famille. Autant dire que le jour où il a appris la capture d’Astreya à cause d’une mission qui avait mal tourné, il a regretté de ne pas l’avoir accompagné. Alors, depuis ce jour, il s’est juré de protéger Odanya, quoi qu’il arrive.

Bref, revenons à nos moutons. Kuvaen entendit donc la détonation d’une arme à feu, puis une autre et encore une autre. Inquiet, il décida de se rendre vers la source du bruit avec la jeune hybride, bien qu’il lui intima de rester en retrait car il ne tenait pas à la mettre en danger. Lorsqu’ils arrivèrent sur les lieux, les yeux d’Odanya devinrent humides alors que ceux de Kuvaen brillaient d’une lueur malsaine : celle de la haine. Un groupe de chasseurs se trouvait au milieu d’un champ de cadavres. Parmi les victimes, gisait le corps sans vie de sa mère, tuée d’une balle dans la tête. Un peu plus loin, son père faisait face à un chasseur. Ce dernier avait une arme à feu pointée vers la tête de l’hybride qui semblait déjà avoir été victime de nombreux sévices puisqu’il peinait à rester debout. Pourquoi était-il toujours en vie malgré son état peu reluisant ? Sans doute car les chasseurs étaient en train de l’interroger, espérant lui arracher de précieuses informations pour traquer et tuer d’autres hybrides qui se cacheraient dans les environs.

Horrifiée par la scène qu’elle venait de découvrir, Odanya se blottit contre son « grand frère », à la recherche de réconfort. Mais alors que la jeune hybride se laissait gagner par la peur et la tristesse, la rage et la haine dominaient Kuvaen. Serrant le poing, il regardait la scène, totalement impuissant. Il voulait intervenir, sauver son père - ou tout du moins essayer - mais il ne pouvait pas abandonner Odanya. Alors qu’il réfléchissait à un plan pour sauver son père tout en garantissant la sécurité de la jeune hybride, un des chasseurs les repéra et donna l’alerte. Merde ! Ni une, ni deux, Kuvaen se tourna vers celle qu’il considérait comme sa petite sœur et lui intima de s’enfuir le plus loin possible et de ne jamais revenir sur les lieux. Il se tourna ensuite vers les chasseurs qui tentèrent de poursuivre Odanya et leur barra rapidement la route, repoussant violemment le premier - qui se cassa magistralement la gueule en se prenant les pieds dans une racine - avant de sauter sur l’autre pour le faire rouler au sol.

Les renforts arrivant pour tenter de maîtriser le rebelle, Kuvaen mit en pratique ce que lui avait appris son père durant ces dernières années et amocha salement les chasseurs - dont un qu’il blessa gravement en essayant de l’égorger - avant de se prendre une balle dans l’épaule qui le freina considérablement dans sa lancée. Mais grâce à l’adrénaline, il parvint encore à causer du tort aux chasseurs. Et avec les crocs et les griffes qu’il avait, autant dire que les dégâts étaient loin d’être minimes. Mais, même si l’hybride maîtrisait très bien les techniques de combat, il restait « désarmé », seul et blessé, plusieurs désavantages qui finiront par causer sa perte. Après avoir reçu de nombreux coups - qui lui laisseraient sans doute de beaux hématomes - une balle supplémentaire vint cette fois se loger dans son flanc, arrachant un grondement sonore à Kuvaen qui tomba à genoux au sol. Mais malgré la douleur, il se releva péniblement, prêt à relancer l’assaut. Cependant, le bruit d’une détonation le stoppa net dans son élan. Il leva les yeux pour voir le corps de son père s’écrouler lourdement au sol dans une mare de sang. Son cœur se serra d’un coup, une poussée d’adrénaline l’envahit et il lâcha un hurlement de rage en cherchant à atteindre le type qui venait de tuer son père sous ses yeux. Mais les autres chasseurs l’attrapèrent avant qu’il n’y parvienne. Ils avaient cependant bien du mal à maîtriser Kuvaen tant il était enragé. D’ailleurs, il n’arrêtait pas d’insulter le meurtrier de son père de tous les noms en se débattant férocement malgré la perte de sang, si bien que la question de l’abattre effleura l’espace d’un instant l’esprit des chasseurs.

Lassé d’entendre des grondements sonores, l’un des chasseurs finit par abattre violemment la crosse de son arme sur la tête de Kuvaen, lui pétant l’arcade avant de l’envoyer rejoindre Morphée. Ils décideraient de son sort plus tard. Ce ne fut qu’au bout de plusieurs heures qu’il émergea enfin, ouvrant péniblement les yeux pour découvrir son nouvel environnement. Un milieu froid, hostile et stérile, déprimant. La voix d’un hybride résonna dans les couloirs, hurlant de peur ou de douleur, difficile à dire. Le cri fit sursauter et gémir Kuvaen, tout en lui arrachant un puissant sentiment de malaise et d’impuissance. Pour lui qui était si sensible au bruit, cet environnement était tout bonnement insupportable. Et pourtant, il allait y rester un bon moment.

Entre les cris des autres hybrides, les passages à tabac, les décharges électriques et les expérimentations régulières, Kuvaen était en train de devenir complètement fou. Chaque jour était la source d’une souffrance innommable, interminable. Les hématomes ne s’effaçaient jamais complètement car de nouveaux venaient s’ajouter par-dessus les anciens. Et des marques de piqûre parsemaient son bras. Entre les prises de sang et les injections douteuses qu’on lui faisait, même son bras était devenu bleu. Ce ne fut qu’après plusieurs mois que tout s’arrêta enfin.

Résigné, Kuvaen avait fini par abandonner l’idée de se rebeller car son corps ne parvenait plus à résister aux sévices continuels qu’on lui infligeait. Aussi, il remarqua bien vite que son traitement s’améliorait grandement lorsqu’il se comportait docilement. Moins de coups, une meilleure alimentation, plus de décharges… Mais malgré ces conditions de vie largement plus tolérables, il haïssait toujours autant les humains. Il ne voyait en eux que des pourritures qui mériteraient de mourir dans des souffrances encore plus atroces que les siennes, si c’était possible. Mais il ne cherchait plus à se rebeller. Pourquoi ? Tout simplement car il avait entendu des échos. Des rumeurs qui parlaient de réintégrer les hybrides capturés dans la société. Une belle opportunité de retrouver un semblant de liberté. Mais pour quoi faire ? Il avait tout perdu, échoué sur toute la ligne. Non. Serrant le poing, Kuvaen repensa à Astreya qu’il avait croisé au détour d’un couloir plusieurs semaines auparavant et à la lueur d’espoir dans son regard lorsqu’il lui avait annoncé que sa petite sœur était en vie et certainement en sécurité. Il ne pouvait pas les abandonner. Alors, il se mit à jouer la comédie. Endosser le rôle du parfait petit esclave dans l’espoir de quitter au plus vite cet enfer.

Et c’est finalement ce qui arriva. Après de longs mois - qui avaient parus interminables pour Kuvaen - il fut emmené dans un autre établissement pour être vendu comme un simple esclave. On ne pouvait pas dire que cette perspective le réjouissait mais… C’était toujours mieux que de servir de cobaye et de punching-ball humain.