Je suis née dans une famille plutôt aisée. Nous étions loin d’être les plus riches, mais nous gagnions assez pour vivre dans une petite maison d'Eydriade. Mon frère jumeau était tout mon contraire. Je m’explique…

Depuis petite, j’ai toujours été perçue comme un prodige. De belles formes rondes, une chevelure pure, une facilité dans presque tous les domaines. J’ai appris rapidement la bonne conduite, le piano, le chant et toutes les leçons importantes pour la culture… DE quoi échanger avec une femme et gagner contre elles, mais moins puissante qu’un homme. J’étais admirée dès mon jeune âge et on n’hésitait pas à le faire remarquer à ma famille. J’avais tout de la perfection hormis ma dot en soit plutôt basse au vu de notre petit titre. Et le plus beau dans tout cela ? Je restais toujours humble et récitais tous les jours que j’étais la meilleure des petites filles, mais que j’étais inférieure à mon frère…

Vu que l’on en reparle, laissez-moi m’exprimer à son sujet. Il ne s’intéressait en rien aux devoirs familiaux et bien que l’on me pensait issue d’une riche famille, lui, on le pensait voyou d’Inouak. Toujours parti vagabonder, embêter les domestiques, plutôt virulent, négligé et même dépitant. Ils avaient tout d’un pauvre, il avait des soucis de concentration et de mémoire. Et le comparer très souvent à moi, sa sœur, cette femelle censée lui être inférieure et être félicitée alors que lui était humilié le rendait fou.

Cela me peinait, j’essayais de lui parler, mais cela ne faisait que piquer toujours plus le sot dans son ego. Il refusait de voir mes actes comme de la bienveillance et il interprétait cela comme un symbole de supériorité… Et le pire, il ne pouvait se venger de choses que je ne faisais point. Donc me dénoncer pour une bêtise était impossible au vu de mon caractère tranquille. De plus, l’art de la discussion était aussi un de mes atouts et on savait donc que je n’allais pas commettre d’impair envers mon frère. Je ne voulais fâcher personne. Simplement vivre tranquillement, me marier à 18 ans, assister à la passation du pouvoir de notre famille à mon frère.

On a bien pensé au début, que cela serait impossible au vu de son caractère, mais il a finalement changé. Bien qu’il sortait beaucoup lors de son adolescence, il ne rechignait plus pour ses leçons et pour apprendre et il a donc été décidé de ne pas changer les plans prévus au départ.
C’est donc à nos 18 ans que tout fut annoncé. Mon frère devint chef de famille et moi ? Mon fiancé avait été choisi. Issu d’une très bonne famille, on ne pouvait rêver mieux. En plus d’être plutôt bel homme et pas trop vieux, je m’estimais des plus chanceuses.
Bien que ma belle-famille serait perdante d’un point de vue, elle allait gagner beaucoup dans la société par mon biais. J’étais reconnue pour avoir une merveilleuse éducation et être un prodige de l’apprentissage depuis ma plus tendre enfance.

Malheureusement… Mon frère n’avait pas l’air de cet avis. Toute cette amertume qu’il avait à mon égard et avait étouffée au fil des années n’avait été que dissimulée. Une fois au pouvoir ma vie devint enfer. Mon engagement fut annulé. Vous devez vous demander comment ? Cela n’aurait pu être si simple.
Tout simplement, ses sorties avaient toutes pour but les jeux. On ne peut pas toujours gagner et ce fut le cas avec ce dernier. Il a beaucoup perdu et a décidé, au lieu d’endetter la maison, de me vendre. Vous vous demandez comment cela a pu être accepté ? Mes parents auraient fait barrage.
Mais bien qu’il n’était qu’une brute, il était vicieux ou avait un allié de taille. Comme dit plus tôt, calmé lors de son adolescence, et même gentil avec moi, rien ne fut choquant quand il a parlé de passer un séjour avec sa sœur avant son mariage. J’ai accepté avec plaisir et la transaction fut faite à ce moment. Désormais reconnu comme chef de famille, malgré notre statut de noble, l’accord pour me vendre avait été donné. À son retour, néanmoins, il a tout perdu de ce que j’ai entendu. Père a repris son rôle de chef en le reniant et le faisant bannir de la famille sans un sou. Heureusement pour lui, il n’avait plus les dettes, mais il n’était désormais plus personne. Mes parents ont essayé de provoquer mon retour, mais il était trop tard. Déjà sur la table opératoire du laboratoire de Proconsul, ils ne pouvaient plus rien pour moi.

Ma transformation fut longue et pénible… En effet, leur but étant un peu spécial, il a fallu un an pour que je sois opérationnelle comme ils s’amusent à dire. Je plaignais mes pauvres parents qui après avoir vécu avec deux enfants, se retrouvaient sans personne… Mais je ne pouvais leur causer du tort et de la souffrance en leur demandant de me racheter… J’ai donc demandé à ce que ma future transaction se fasse dans le plus grand silence… Préférant qu’ils vivent avec l’illusion que je sois morte libre et humaine plutôt qu’être devenue une sans droit.

Le propriétaire d’un riche restaurant a fait mon acquisition. Suite à de longues discussions et échanges, nous avons décidé de convenir que je deviendrai son attraction principale. En échange d’un travail bien fait, je serai nourrie, blanchie, logée et respectée. J’avais, en plus de cela, le droit de faire les boutiques avec lui pour choisir de beaux habits pour les représentations.

Je ne pouvais dire que cela me convenait, mais au vu de tout ce que je voyais autour de moi, je préférais accepter mon sort bien sagement. L’intelligence que les Dieux m’avaient offerte, je l’utilisais dans le seul but de vivre au mieux malgré ma condition.

Tout se passait au mieux… Jusqu’à ce fameux jour. Lors d’une représentation, je n’ai pas réussi à échanger les transformations. J’ai plongé avec mes ailes, n’ayant pas mes branchies et les plumes mouillées pesant un poids monstrueux… Je me suis mise à couler devant les spectateurs effarés. Tous se levèrent pour fuir la représentation pendant que l’on tentait de me repêcher. N’y arrivant pas, l’un des sauveteurs, équipés de… Je ne sais quoi comme instrument de torture, m’a coupé une aile. L’eau d’un bleu limpide est devenue rouge sang. Cela a fini par faire fuir les plus téméraires. J’ai hurlé de douleur sous cette eau trouble. Une fois remontée à la surface, je pleurais et hurlais comme une enfant. Je souffrais, je n’avais jamais eu aussi mal de ma vie. J’avais l’impression que l’on venait de m’arracher un bout de moi. Il était pourtant récent ce bout, mais cela ne m’a jamais autant touché. J’étais perçue comme une sublime créature mystique et désormais, j’étais perçue comme un monstre hurlant de tout son corps.

Mon propriétaire me prévint que je ne pouvais rester avec une seule aile, j’étais immonde ainsi et qu’il me fallait retirer la seconde. Refusant farouchement, il n’eut pas d’autres choix que de me priver de mes pouvoirs. Ne pouvant me transformer en ma forme marine, menottée, je ne pouvais plus m’échapper. On me tailla la seconde partie de moi. Suite à la douleur et le désespoir, je perdis plusieurs jours conscience. À mon réveil, je ne parlais plus, j’avais mal, les traits tirés, j’étais maigre et laide à voir. Je désignai l’aquarium du doigt et on m’y emmena, pensant que cela me soulagerait… Mais une fois, dedans, je me transformai, me terrant au fond et refusant de remonter à la surface. Bien que l’on essayait de me priver de mes pouvoirs, cela ne changeait rien, c’était ma forme naturelle d’hybridation… Mon pouvoir était de pouvoir me transformer en l’une ou l’autre… Une fois affamée, je daignais remonter pour chaparder à manger. Le propriétaire en profita pour essayer pour m’attraper et essayer de me raisonner par le biais de mots et de coups, mais mon silence perdura. Je refusais de me produire et de redevenir « humaine ». Ma popularité causa son tort et il ne put m’exécuter pour ne pas perdre le peu de réputation qu’il lui restait suite à mon spectacle sanglant. J’ai donc été vendu sous prétexte que j’avais perdu mes pouvoirs et qu’ils ne voulaient pas que ma présence rappelle ce mauvais souvenir. Il se voulait connu pour chouchouter ses clients et leur faire oublier cette terrible histoire… Sortant les violons pour qu’on ai pitié de moi et donc de lui par la même occasion. Je ricanais, moqueuse et étais prête à révéler à qui veut l’entendre la vérité sur cet événement.

Je lui avais dit être épuisée, je lui avais demandé de prendre ma soirée…. Je lui avais demandé de ne pas me forcer puisque j’étais exténuée et affamée à force de suivre un régime plus strict que nécessaire… Mais cela indiquait que je devais communiquer avec l’humain en qui je perdais de plus en plus foi… Je m’y refusais pour le moment, préférant barboter dans mon bocal et faire fuir ceux osant s’approcher de moi, attendant patiemment ma mort d’ennui ou d’épuisement… Et même si cela semblait compliqué, j’avais espoir que cela m’arrive pour aspirer enfin à une vie tranquille. De toute façon, plus rien ne me maintenait en vie… Je n’étais plus humaine, ni même réellement hybride… Mais une monstruosité, nommée précédemment prodige… Même cette pensée était devenue malsaine… Dire que du talent se cachait sous ce monstre sous-marin… Cela en était dérangeant pour les véritables humains prodiges… Tout ce que je n’étais plus en somme.

Peut-être qu’on pourrait voir que des prémices d’ailes auraient repoussé si je daignais me retransformer… Mais je m’y refuse, je ne veux plus sentir la douleur de cette forme… Car bien que j’aie une apparence plus humaine, c’est moi qui me sentirais la plus monstrueuse à cet instant…